Voyage en mer
Nous nous sommes levés tôt afin d’embarquer à l’heure prévue. Tout s’est déroulé sans aucun incident.
Dix minutes après le départ, le ciel commence à se confondre avec la mer à l’horizon. La ville se transforme en une ligne ambiguë entre les deux. La terre disparaît à l’arrière du bateau à une telle vitesse qu’un sentiment confus et déchirant s’installe dans mon cœur pourtant joyeux il y a peu de temps. J'hésite à mettre cette morosité sur le compte de l'âge, peut être pas l'âge en soi qui n'est qu’un nombre, mais les vécus. Les séparations de tous genres sont de plus en plus difficilement supportables.
Aussi bien les voyages nous font découvrir de nouveaux horizons, aussi bien à chaque départ, la peur de ne plus jamais pouvoir y retourner me fend le cœur. À ce propos, le terme en anglais « motherland » me semble parfaitement opportun. Nous avons tous au fond de nous une terre maternelle. Cette dernière nous a vus naître, grandir et hélas partir. Nous partons d’un embryon solitaire qui ignore totalement ce qui nous est réservé. On a hâte et soif de se familiariser avec le monde sans cesse grandissant, rempli de nouveautés. Nous voulons découvrir et embrasser le futur avec empressement. Jusqu’au jour où nous prenons conscience de la distance qui sépare notre terre ou point de départ et de la position du moment. Le pire est que nous avons parcouru tant de chemins que souvent, les demi-tours ne nous sont plus permis. Nous nous retrouvons égarés.
Je suis bien conscient qu’il ne faut pas se plaindre sans raison « tenable », et surtout aux yeux des autres. Car nous ne voyons jamais toutes les situations sous le même angle. Qui plus est, nous avons souvent tendance à ignorer le bonheur à notre portée en cherchant l’herbe plus verte dans le jardin d’à côté. J’éprouve néanmoins énormément de difficultés à refouler cette nostalgie et ce mal du pays en “vieillissant”. Oui, il y a un lieu de ce monde qui me manque. Encore plus déconcertant, j’ai du mal à définir ce lieu. Ce n’est ni le pays ni la contrée où j’ai vu le jour. Il s’agit d’un endroit où je peux me permettre de me reposer sans crainte, sans aucune appréhension. Je ne suis plus à la merci des éléments extérieurs. C’est là que je serai en paix avec moi-même. Je crois m'en être éloigné sans le savoir.
Il se pourrait que je ne puisse jamais mettre les pieds dans tel lieu. J’en ai malheureusement l’intime conviction depuis des années. Je finis par l’accepter tant bien que mal. Pas plus que pour les autres en tout cas. Cela fait partie de notre apprentissage terrestre, comme tant d’autres compétences que nous devons acquérir lors de notre unique passage sur cette Terre.
Cet abandon me soulage. Cette soumission m’arrange. Cette acceptation m’offre la possibilité d’être en bons termes avec moi-même pendant la journée. Alors j’y tiens. Je continue de vagabonder et errer là où je dois aller. N’en serait-il pas mieux ainsi pour tout le monde ?