Est ce qu'un créateur doit être compris?
Pour être sûr de me faire comprendre (parfois, moi-même a un doute):
-- créateur: je fais allusion aux auteurs d'une chose nouvelle, plus particulièrement aux oeuvres artistiques. (peintres, musiciens, écrivains, sculpteurs ou autres que l'étroitesse de mon esprit ne m'a pas soufflé en écrivant).
-- devoir: je m'intéresse à la forme transitive du verbe dont le premier sens "être dans l'obligation de", la réponse est sans doute oui et non (je vous ai prévenu que parfois, il n'y a que l'IA et moi-même qui me comprenons, et encore), j'en développerai davantage dans les lignes suivantes. En suite vient le deuxième sens, celui qui exprime "la nécessité". À cela je répondrai avec enthousiasme : oui, mais alors la question se porte sur pour qui? le créateur lui-même ou ceux qui découvrent son oeuvre? Le troisième sens est "avoir l'intention de". Personnellement la réponse spontanée est sûrement positive, cependant je ne dois pas m'y attarder plus, sinon le doute s'installerait sans se faire prier. Enfin, vient "l'hypothèse", et puisque la quintessence de cette réflexion est sur une base hypothétique, on verra bien comment chacun s'y répondra à sa sauce. Si on me mettait un couteau sous la gorge pour me soutirer ma précieuse réponse personnelle, je me moquerais de mon agresseur bienveillant, le titre de ce texte est une question qui signifie probablement oui en soi. Si je reformule explicitement et autrement, la question sera "un créateur me semble devoir être compris", et si vous commencez à réfléchir à cette question, c'est que vous n'avez pas bien lu le troisième sens...
Revenons à nos moutons,
En découvrant les oeuvres d'un peintre abstrait, je me suis posé cette question: un artiste doit-il être compris ? Et, en parallèle aussi: un artiste a-t-il besoin d'être compris? Je ne me considère pas comme un artiste (je vous entends clamer, mais si vous l'êtes, et je vous remercie), et que je me proclame, sur un ton d’humour sans être humoriste, écriveur plutôt qu’écrivain — car l’écrivain, lui, porte la double charge de la gloire et de la lourde responsabilité d’influence et ceux qui viennent avec.
Quand il m’arrive de commettre des fautes de grammaire ou d’orthographe, je peux aisément me les pardonner en tant qu’écriveur. Après tout, je ne fais rien de plus que d’écrire, rien de fondamentalement différent de l’enfant qui griffonne avec insouciance. Cela n’empêche pas qu’à l’occasion, lorsqu’une personne me dit n’avoir rien compris de l’un de mes écrits, j’aie cette irrépressible envie de rétorquer : “Je n’éprouve aucun besoin d’être compris ! (il n'a rien compris de toutes façons) ” Et si je n'ai nul besoin de sa compréhension, pourquoi je réagis tel une personne dont l'orgueil est touché? Le cas échéant, imaginons un artiste dont un de ses oeuvres est exposé dans un endroit fréquenté par des milliers de personnes. Si chaque passant se dit avoir tout de suite compris et que leurs réponses sont homogènes sans équivoque, je serais bien triste pour l'artiste. Une création doit susciter des interprétations variées, des émotions multiples et, parfois, même des débats. Si une oeuvre est perçue de manière évidente et uniforme, elle a manqué de profondeur et de mystère. L'ambiguïté, la polysémie et la capacité d'une oeuvre à provoquer des questionnements la rend durable. Qui plus est, les sensibilités et les expériences personnelles des observateurs génèrent des résonances différentes chez chacun. Une création artistique doit pouvoir réussir à transcender les évidences ou à inviter à une réflexion.
Et pourtant… qu’est-ce que c’est réjouissant de croiser un lecteur qui a compris la même chose que moi ! Hypocrisie ? Oui, mais artistique ! Ça sonne bien, cette arrogance prétendument artistique, non ?
Alors, entre deux écritures, je vais me mettre à réfléchir un peu...
La question de savoir si un artiste doit être compris est complexe (le reste du monde en est tout autant, quelle phrase banale) et fascinante (au moins à cet instant et pour moi). Elle touche à la nature même de l’art, à son rôle et à son impact. Voici quelques réflexions (probablement hâtives) autour de cette question.
À mon humble avis, l’art est avant tout une description du monde intérieur de l’artiste, de ses émotions, de ses expériences, ou de sa vision du monde (il s'agirait dans ce cas-là, la description du monde extérieur mais en reflet qui est à l'intérieur encore une fois de l'artiste). Dans ce sens, l’artiste crée pour se comprendre lui-même ou pour exprimer quelque chose qui ne peut être dit autrement. La compréhension du public n’est pas toujours nécessaire, voire même souhaitée : parfois, l’artiste veut simplement partager une expérience brute, sans l’interpréter pour autrui (surtout pour des fois le créateur même n'a pas réussi à se comprendre, un peu comme moi à cet instant). À ce moment-là, il faut faire prudemment la différence entre le plaisir que cela procure lors d'une compréhension d'autrui et la motivation intrinsèque de la création en soi.
Un aspect fondamental de l’art est qu’il invite à la subjectivité. Les œuvres d’art prennent souvent vie à travers le regard du spectateur, et cette ouverture à l’interprétation peut être l’un de ses plus grands charmes. Les spectateurs peuvent percevoir des significations très différentes de celles de l’artiste, et cela peut enrichir l’œuvre en lui-même. Dans ce cas, l’artiste n’a pas besoin d’être compris, car chaque interprétation est légitime et contribue à la richesse de son travail. Si nous prenons des oeuvres écrits en exemple, plus particulièrement un poème, nous pouvons tous l'avoir compris (à raison ou à tort), ou n'avoir jamais compris voire trouvé incompréhensible.
Pour certains artistes, l’objectif est de transmettre un message clair, d’alerter ou d’engager le spectateur sur des problématiques sociales, politiques ou culturelles. Dans ces cas-là, la compréhension est essentielle, car le message fait partie intégrante de l’œuvre. Si ce message n’est pas compris, l’œuvre risque de perdre son pouvoir d’impact. Cependant, peut on dire que l'oeuvre n'a pas lieu d'être? Et si certains ont compris et d'autres non? L'oeuvre a faillit à sa mission? La pente fatale est encore une fois dangereusement glissante.
De nombreux artistes aiment conserver une part de mystère dans leurs œuvres. L’incompréhension ou la difficulté d’interprétation peuvent même être intentionnelles, une manière de provoquer ou de stimuler la réflexion du spectateur. Cette opacité peut susciter des émotions puissantes, inciter à la curiosité ou provoquer un malaise productif. Pour ces artistes, l’incompréhension peut être un moyen de faire ressentir quelque chose de plus profond ou de plus universel. Dans ce cas de figure, le pire se trouve entre l'intention de l'artiste et la compréhension ou la déduction de son publique. Selon l'époque, le milieu culturel dans lequel se trouve l'observateur, le pouvoir et devoir de l'observateur, l'expérience personnelle de chacun, les clés seront sous de drôles de formes différentes. La cérémonie d'ouverture de JO de Paris en est une belle épreuve. Je l'ai trouvée tellement réussie et correspondre exactement à ce dont je m'attendais de ce pays si créateur sur le plan artistique. Curieusement, j'ai entendu des divergences jusqu'au point de la traiter de hideuse, offensante voire blasphémer. Pourtant, il n'y a rien à expliquer ou à se justifier n'est ce pas?
Parfois, la compréhension n’est pas l’objectif, mais la connexion entre l’artiste et le spectateur, qu’elle soit émotionnelle, intellectuelle ou intuitive. Dans ce sens, l’artiste crée un espace de dialogue où chacun peut trouver un écho personnel. L’art devient un miroir, reflétant à la fois le monde intérieur de l’artiste et celui du spectateur, sans qu’une compréhension absolue ne soit nécessaire. Et quel merveilleux monde si les deux reflets se concordent parfaitement! Et quelle force cela demandera si ce n'est pas le cas.
En résumé, l’idée que l’artiste “doit” être compris dépend de l’intention derrière l’œuvre et du type de connexion que l’artiste souhaite établir avec son public. Certains artistes aspirent à être compris, d’autres à être ressentis, et d’autres encore se satisferont d’une interaction où le mystère reste entier. Personnellement, je dirais que je n'ai pas besoin d'une compréhension extérieur pour écrire, mais cela me ferait plaisir d'être compris, sous réserve que mon lecteur ait compris ce que j'aimerais qu'il comprenne (ou pas, pas toujours). Enfin bref, je vous remercie d'avoir tenu bon jusqu'ici et je pense que vous avez compris.